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Le spectacle de l’abondance, de la variété et de la complexité des formes de vie invite à se poser la question de la finalité . Pourquoi cette profusion d’activités acharnées conduisant la matière vivante à s’auto répliquer ?
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Le spectacle de l’abondance, de la variété et de la complexité des formes de vie invite à se poser la question de la finalité. Pourquoi cette profusion d’activités acharnées conduisant la matière vivante à s’auto répliquer ? Nous serons peut-être, comme Schopenhauer dans le texte suivant, amenés à considérer que la vie est une bien sombre affaire « dont le revenu est loin de couvrir les frais ». Nous serions alors envahis par un embarrassant sentiment d’absurdité.
Songeons qu'en général la vie de la plupart des insectes n'est qu'un perpétuel travail, pour préparer les aliments et la demeure des larves qui naîtront plus tard de leurs œufs, et qu'ensuite ces larves, après avoir dévoré ces aliments et s'être transformées en chrysalides, entrent dans la vie, pour recommencer sur nouveaux frais la même besogne. Disons-nous que de même la vie des oiseaux se passe en grande partie à opérer leurs longues et pénibles migrations, puis à bâtir leur nid, à apporter la nourriture à leurs poussins, destinés eux-mêmes, l'année suivante, à jouer le même rôle ; qu'ainsi tout travaille toujours pour un avenir qui fait ensuite défaut, et pourrons-nous nous empêcher de chercher des yeux la récompense de tout cet art et de toute cette peine, le but dont l'image présente aux yeux des animaux les pousse à cette agitation incessante ; pouvons-nous en un mot nous empêcher de demander : Quel est le résultat de tout cela ? Quelle est la fin réalisée par l'existence animale qui demande toutes ces dispositions à perte de vue ? On ne peut rien nous montrer que la satisfaction de la faim et de l'instinct sexuel, et peut-être encore un court moment de bien-être, comme il est donné à tout animal d'en obtenir en partage, au milieu de ses misères et de ses efforts infinis. Si l'on met en regard d'une part l'ingéniosité inexprimable de la mise en œuvre, la richesse indicible des moyens et, de l'autre, la pauvreté du résultat poursuivi et obtenu, on ne peut se refuser à admettre que la vie est une affaire dont le revenu est loin de couvrir les frais. (...) Le Monde comme volonté et comme représentation, PUF, 1966.
« Comprendre » une action signifie percevoir une intention, un projet, un but. Or, les intentions, les projets et les buts présupposent l’existence de personnes qui les conçoivent. • Les sciences humaines sont coutumières d’explications tenant compte des buts des acteurs impliqués dans la question. Les économistes, par exemple, pourront expliquer une flambée passagère des prix du pétrole par l’action des spéculateurs. • Aussi est-il tentant d’imaginer une action intentionnelle derrière tous les phénomènes que nous ne comprenons pas. Si la vache est malade, c’est qu’un sorcier a jeté un mauvais sort sur la ferme…
« Il a sans cesse fallu lutter, dans les sciences de la nature, pour se débarrasser de l'anthropomorphisme, pour éviter d'attribuer des qualités humaines à des entités variées. En particulier, la finalité qui caractérise beaucoup d'activités humaines a longtemps servi de modèle universel pour expliquer tout ce qui, dans la nature, paraît orienté vers un but. C'est le cas notamment des êtres vivants dont toutes les structures, les propriétés, le comportement semblent à l'évidence répondre à un dessein. Le monde vivant a donc constitué la cible favorite des causes finales. De fait, la principale « preuve » de l'existence de Dieu a longtemps été « l'argument d'intention ». Développé notamment par Paley dans sa Théologie naturelle, publiée quelques années seulement avant l'origine des Espèces, cet argument est le suivant. Si vous trouvez une montre, vous ne doutez pas qu'elle a été fabriquée par un horloger. De même, si vous considérez un organisme un peu complexe, avec l'évidente finalité de tous ses organes, comment ne pas conclure qu'il a été produit par la volonté d'un Créateur ? Car il serait simplement absurde, dit Paley, de supposer que l'œil d'un mammifère, par exemple, avec la précision de son optique et sa géométrie, aurait pu se former par pur hasard.
François Jacob : suite… Il y a deux niveaux d'explication, bien distincts mais trop souvent confondus, pour rendre compte de l'apparente finalité dans le monde vivant. Le premier correspond à l'individu, à l'organisme dont la plupart des propriétés, tant de structure que de fonctions ou de comportement, semblent bien dirigées vers un but. (…) Le second niveau d'explication correspond, non plus à l'organisme individuel, mais à l'ensemble du monde vivant. C'est là qu'a été détruite par Darwin l'idée de création particulière, l'idée que chaque espèce a été individuellement conçue et exécutée par un créateur. Contre l'argument d'intention, Darwin montra que la combinaison de certains mécanismes simples peut simuler un dessein préétabli. Trois conditions doivent être remplies : il faut que les structures varient ; que ces variations soient héréditaires, que la reproduction de certains variants soit favorisée par les conditions de milieu. A l'époque de Darwin, les mécanismes qui sous-tendent l'hérédité étaient encore inconnus. Depuis lors, la génétique classique, puis la biologie moléculaire ont donné des bases génétiques et biochimiques à la reproduction et à la variation. Peu à peu, les biologistes ont ainsi élaboré une représentation raisonnable, quoiqu'encore incomplète de ce qui est considéré comme le principal moteur de l'évolution du monde vivant : la sélection naturelle. » JACOB, F., Le jeu des possibles, pp. 32 sq., Fayard.
Au XIXe siècle, le fait de l’évolution des espèces devient une évidence pour tous ceux qui veulent bien ouvrir les yeux. • Il n’est pas étonnant dès lors que plusieurs théoriciens aient tenté de lui fournir une explication. • Lamarck défendra l’idée que « La fonction crée l’organe ». Malheureusement pour sa théorie, les caractères acquis par un être vivant au cours de son existence ne sont pas transmis à sa descendance. • C’est tout le génie de Darwin d’avoir mis au cœur de son explication le concept de sélection naturelle : dans la variété de la descendance des êtres vivants seuls les plus aptes survivent assez pour pouvoir eux-mêmes se reproduire.
Ma conclusion particulière : la nature, en produisant successivement toutes les espèces d'animaux et commençant par les plus imparfaits ou les plus simples, pour terminer son ouvrage par les plus parfaits, a compliqué graduellement leur organisation, et ces animaux, se répandant généralement dans toutes les régions habitables du globe, chaque espèce a reçu de l'influence des circonstances dans lesquelles elle s'est rencontrée les habitudes que nous lui connaissons et les modifications dans ses parties que l'observation nous montre en elle. (...) • Tout concourt à prouver mon assertion, savoir : que ce n'est point la forme, soit du corps, soit de ses parties, qui donne lieu aux habitudes et à la manière de vivre des animaux, mais que ce sont, au contraire, les habitudes, la manière de vivre, et toutes les autres circonstances influentes qui ont, avec le temps, constitué la forme du corps et des parties des animaux. Avec de nouvelles formes, de nouvelles facultés ont été acquises, et peu à peu la nature est parvenue à former les animaux tels que nous les voyons actuellement. • Philosophie zoologique, U.G.E., coll. 10/18, 1968, pp. 223-225.
Grâce au combat perpétuel que tous les êtres vivants se livrent entre eux pour leurs moyens d'existence, toute variation, si légère qu'elle soit, et de quelque cause qu'elle procède, pourvu qu'elle soit en quelque degré avantageuse à l'individu dans lequel elle se produit en le favorisant dans ses relations complexes avec les autres êtres organisés ou inorganiques, tend à la conservation de cet individu et, le plus généralement, se transmet à sa postérité. Celle-ci aura de même plus de chances de survivance ; car, entre les nombreux individus de toute espèce qui naissent périodiquement, un petit nombre seulement peut survivre. J'ai donné le nom de sélection naturelle au principe en vertu duquel se conserve ainsi chaque variation légère, à condition qu'elle soit utile, afin de faire ressortir son analogie avec la méthode de sélection de l'homme. (...) En ces différentes acceptions, qui se fondent les unes dans les autres, je fais usage, pour plus grande commodité, du terme général de concurrence vitale (struggle for life).
La concurrence vitale résulte inévitablement de la progression rapide selon laquelle tous les êtres organisés tendent à se multiplier. Chacun de ces êtres qui, durant le cours naturel de sa vie, produit plusieurs œufs ou plusieurs graines, doit être exposé à des causes de destruction à certaines périodes de son existence, en certaines saisons ou en certaines années ; autrement, d'après la loi de progression géométrique, l'espèce atteindrait à un nombre d'individus si énorme, que nulle contrée ne pourrait suffire à les contenir. Or, puisqu'il naît un nombre d'individus supérieur à celui qui peut vivre, il doit donc exister une concurrence sérieuse, soit entre les individus de la même espèce, soit entre les individus d'espèces distinctes, soit enfin une lutte contre les conditions physiques de la vie. L'origine des espèces (au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l'existence dans la nature), trad. Guillaumin et Cie, pp. 74-77.
« Les vrais ancêtres des plantes et des animaux ne sont parvenus jusqu'à nous que sous forme de fossiles. Bien que nous ne les connaissions pas tous, il n'existe pas, à l'heure actuelle, un seul biologiste qui puisse mettre en doute la réalité de l'évolution. Elle est démontrée par l'existence des fossiles et il ' serait parfaitement impossible, à qui voudrait en nier l'évidence, de comprendre une foule de faits relatifs à la structure et au développement des animaux et de l'homme. La présence de fentes branchiales chez l'embryon humain, par exemple, ne s'explique que si nos premiers ancêtres ont vécu dans l'eau et si leur plan primitif d'organisation a servi de base au nôtre. Chacun des pavillons de nos oreilles comporte un nombre important de muscles atrophiés qui restent inutilisés et ne seraient même plus capables, pour la plupart, d'entrer en action. On ne peut en expliquer la présence qu'en les considérant comme un héritage d'ancêtres chez lesquels la mobilité des oreilles avait une importance biologique. Il y aurait un livre à écrire sur les caractères qui, chez l'homme, témoignent de son passé. Et ce n'est pas l'homme seulement, ni même les vertébrés,; mais tous les grands embranchements du règne animal qui présentent une telle unité d'organisation que seule une origine commune peut en donner une explication claire et satisfaisante. » VON FRISCH, Karl, L’homme et le monde vivant, éditions j’ai lu, 1974, pages 424 – 425. (Karl von Frisch a reçu le prix Nobel de médecine en 1973)
Texte : matérialisme et déterminisme chez Darwin Les carnets M et N montrent aussi qu'il s'était rallié à une conception fondamentalement matérialiste et déterministe de la nature humaine. Il avait accepté dès le début l'idée qu'une théorie de l'évolution devait inclure l'homme en tant que produit du règne animal. Déjà dans le carnet B, il écrivait : « Si tous les hommes étaient morts alors les singes feraient l'homme. - Les hommes feraient des anges » (...) Darwin admettait l'idée qu'une bonne partie de notre comportement inconscient était instinctif, programmé par l'évolution dans la structure même de notre cerveau. Même dans ses notes confidentielles, il nous prouve qu'il savait devoir être très prudent sur ce sujet : « Pour éviter de montrer à quel point je crois au matérialisme, dire seulement que les émotions, les instincts, degrés de talent, qui sont héréditaires, le sont parce que le cerveau de l'enfant ressemble à la souche parentale (et les phrénologistes disent que le cerveau se transforme) » (M, p. 57). Il considérait les différents modes d'expression des émotions comme le signe évident de notre origine animale. Il était persuadé que l'évolution allait expliquer nos valeurs morales, en montrant comment certains types de comportement avaient pu devenir instinctifs chez toutes les espèces vivant en société. La moralité n'était que la rationalisation de ces instincts sociaux. BOWLER, Peter J., Darwin, Paris, Flammarion, 1995, pp. 115-116.
L’eugénisme* • La théorie de l’évolution a influencé des intellectuels qui ont donné une nouvelle vie aux idées du sophiste Calliclès : le bien est défini par la nature et non par la société. • Or, dans la nature, le bien est assimilable au succès dans le combat pour la vie. Les meilleurs sont les plus forts. • Le biologiste et statisticien Ronald Fischer, par exemple, n’a pas hésité à défendre l’eugénisme, un terme forgé par un cousin de Darwin, Francis Galton. Il faut aussi citer le prix Nobel de médecine Alexis Carrel. • Plus récemment, un autre prix Nobel de médecine (déjà cité plus haut) n’hésitera pas à défendre un point de vue analogue.
« Dans un domaine essentiel, celui de la protection de la santé, la rigueur de la sélection s'est atténuée au fur et à mesure que se développait la civilisation. L'esprit d'humanité et l’art médical permettent aujourd'hui la survivance d'anormaux qui, dans les peuplades primitives comme chez les animaux sauvages, auraient été impitoyablement éliminés. Un obèse ou un aveugle trouvent table mise aussi bien que les autres et tout est mis en œuvre pour tirer d'affaire les enfants débiles. Les infirmes à hérédité tarée sont soignés avec sollicitude, les idiots entretenus par l'État aux frais des bien-portants. Les faibles d'esprit peuvent se livrer à leurs instincts aussi bien que les individus doués du sens commun. Ils le font même sans retenue et sans aucun sentiment de leur responsabilité et l'on cite le cas d'une famille comportant soixante-quinze idiots congénitaux actuellement vivants, descendant tous, à la cinquième génération, d'un seul et même individu porteur de cette tare héréditaire. Ici, la sélection ne peut plus exercer ses effets salutaires et fait place, au contraire, à une véritable protection des individus tarés. Les idiots se reproduisent sans contrainte, tandis que, chez les élites, règne la limitation volontaire des naissances et que la guerre fait ses hécatombes parmi les individus les plus robustes. Pareil état de choses ne peut qu'aboutir fatalement à la détérioration de l'espèce humaine. » VON FRISCH, Karl, L’homme et le monde vivant, éditions j’ai lu, 1974, pages 472-473.
Et la coopération ? • Toutes les espèces tentent d’améliorer leurs possibilités de survivre par d’innombrables luttes et combats : prédateurs contre proies, concurrent sexuels. • Cependant, l’évolution s’est dotée d’une arme particulièrement efficace : la coopération. Celle-ci peut fonctionner à l’intérieur d’une espèce (la chasse en meute des loups en est un exemple) ou apparaître dans les comportements d’espèces parfois très éloignées (les petits poissons cure-dents des requins). • Le fameuxdilemme du prisonnierpourrait constituer un modèle pour analyser les comportements coopératifs.
La théologie a bien dû s’adapter à la théorie de l’évolution qui, dès la fin du XIXe siècle, accumulait tant de données en sa faveur qu’elle devenait une évidence pour tous les hommes doués de bon sens. Seuls les esprits aveuglés par le mysticisme dogmatiques (les créationnistes des églises évangéliques, par exemple) pouvaient encore nier les variations des êtres vivants sur une échelle de temps géologique. Comme toujours lorsque les observations scientifiques contredisent leurs théories, les religieux ont produit une explication ad hoc : l’évolution est tout simplement la force qui réalise le projet divin. « Pourquoi le Créateur a préféré atteindre Son but par étapes au lieu d'y aller tout droit, c'est ce que ces théologiens modernes ne nous disent pas» écrit Russell avant de critiquer cette récupération par la théologie.
Texte : Le progrès, loi du monde ? Entre 1860 et 1880, quand la vogue de cette théorie était encore récente, il était admis en Angleterre que le progrès était la loi du monde. N'étions-nous pas en train de nous enrichir d'année en année, et d'avoir nos budgets en excédent malgré la réduction des impôts ? Nos machines ne faisaient-elles pas l'admiration du monde, et notre gouvernement parlementaire n'était-il pas un modèle pour tous les étrangers éclairés ? Qui pouvait douter de la continuation indéfinie du progrès? On pouvait faire confiance à la science et à l'ingéniosité mécanique, qui avaient produit ce progrès, pour continuer à le produire toujours en plus grande abondance. Dans un tel monde, l'évolution semblait n'être qu'une généralisation de la vie quotidienne. Mais, même alors, un autre aspect des choses apparaissait aux gens les plus réfléchis. Les mêmes lois qui produisent la croissance produisent aussi le déclin. Un jour le soleil deviendra froid, et la vie sur terre cessera. Toute l'ère des animaux et des plantes n'est qu'un intermède entre des âges trop chauds et des âges trop froids. Il n'existe pas de loi du progrès cosmique, mais seulement une oscillation de haut en bas et de bas en haut, avec une lente progression d'ensemble vers le bas, due à la diffusion de l'énergie. Du moins est-ce là ce que la science considère actuellement comme le plus probable, et . notre génération désabusée n'a aucune peine à le croire. Dans l'état actuel de nos connaissances, aucune philosophie optimiste ne peut être fondée sur l'évolution. RUSSELL, Bertrand, Science et religion, Paris : Gallimard, 1971, pages 60-61
Sommes-nous des robots ? En supposant qu'on possède un minimum de connaissance scientifique, personne ne peut aujourd'hui douter sérieusement que nous sommes les descendants directs de ces robots auto-réplicatifs. Nous sommes des mammifères, et tous les mammifères descendent d'ancêtres reptiliens dont les ancêtres étaient des poissons, dont les ancêtres étaient des créatures marines semblables à des vers, qui descendaient de créatures multicellulaires qui ont vécu il y a plusieurs centaines de millions d'années, descendant à leur tour de créatures unicellulaires descendant de macromolécules réplicatives ayant vécu il y a environ trois milliards d'années. Il existe un unique arbre généalogique sur lequel on peut trouver toutes les créatures vivantes qui ont vécu et vivent sur cette planète — les animaux, bien sûr, mais aussi les plantes, les algues et les bactéries. Vous avez un ancêtre commun avec chaque chimpanzé, chaque ver, chaque brin d'herbe, chaque séquoia. Parmi nos aïeux se trouvent donc les macromolécules. Pour employer une image, votre arrière-arrière... grand-mère était un robot. Mais ces robots macromoléculaires ne sont pas seulement vos ancêtres, ils sont la matière dont vous êtes fait : vos molécules hémoglobulaires, vos anticorps, vos neurones, votre système réflexe oculo-vestibulaire — votre corps tout entier (y compris votre cerveau, bien entendu), à tous les niveaux de l'analyse, depuis la molécule, est composé de mécanismes qui accomplissent aveuglément un travail magnifique, conçu avec art. DENNET, Daniel, La diversité des esprits, page 40, Paris : Hachette, 1996.