SOCIOLOGIE DE LA DECISION (6) BIAIS COGNITIFS ET DECISIONS

1. SOCIOLOGIE DE LA DECISION (6)BIAIS COGNITIFS ET DECISIONS Christian THUDEROZ Centre des Humanités

2. Qui sont-ils ?

3. Regardez ces deux photos. De quoi et de qui s'agit-il ?

4. Commentaires… • Lorsque nous observons quelqu'un, nous ne percevons pas seulement l'image de ce quelqu'un… • … Nous projetons un certain comportement, et un caractère en accord, selon nous, avec cette image. • Nous anticipons (souvent faussement) sur la façon dont cette personne, dont nous ne connaissons que l'apparence, agira…

5. Qui est cet homme ?

6. C’est… • Le peintre Edward Hopper, dans un Auto-portrait…

7. LINDA, ou comment nos jugements sont parfois biaisés... • Linda est une jeune femme de 31 ans, célibataire, brillante et adepte du franc-parler. Elle est titulaire d‘une maîtrise de philosophie. A l’Université, elle s’est engagée activement contre la discrimination et pour la justice sociale. Elle a participé à des manifestations anti-nucléaires. Voici Linda…

9. Rangez les descriptions suivantes de la plus vraisemblable à la moins vraisemblable : • a. Linda est institutrice • b. Linda travaille dans un supermarché et fait du yoga • c. Linda est une militante féministe • d. Linda est infirmière psychiatrique • e. Linda travaille dans une banque • f. Linda est courtier en assurances • g. Linda travaille dans une banque et est militante féministe

10. 85 % des personnes interrogées… • … pensent que c (« militante féministe ») est plus probable que g (« féministeet travailledans une banque »), proposition qui serait elle-même plus probable que e (« travaille dans une banque »). • Or, un événement qui associe deux conjonctions (c et e) ne peut être plus probable qu’un événement simple qui le compose (e) • Et surtout, pourquoi Linda ne travaillerait-elle pas dans une banque ?

11. Les effets dits « de framing »… • Soit une entreprise A qui a produit 10 innovations dans les deux dernières années, alors que l’entreprise B en a produit 6. Quelle est l’entreprise la plus innovante ? • Réponse : peut-être B ! Supposons en effet que A emploie 10 000 personnes et commercialise 100 produits, alors que l’entreprise B n’en commercialise que 12 et n’emploie que 500 salariés... • La fréquence absolue des événements est préférée à leur fréquence relative. Il existe ainsi des effets de primauté : les premières informations, ou les dernières, induisent la décision finale.

12. Imaginons, dit Max Bazerman, qu’une grande entreprise d‘automobile… • … rencontre des difficultés économiques ; il apparaît nécessaire de fermer 3 usines et licencier 6000 salariés. Le directeur général a élaboré deux plans : • Plan A : Ce plan sauvera une des 3 usines et sauvera 2000 emplois. • Plan B : Ce plan a une probabilité d’1/3 de sauver les 3 usines et les 6000 emplois, mais il y a une probabilité de 2/3 de ne rien sauver du tout... • Quel plan décidez-vous d’adopter ?

13. Imaginons maintenant les options suivantes : • Plan C : Ce plan aboutira à la fermeture de 2 usines sur 3 et à la perte de 4000 emplois. • Plan D : Ce plan a une probabilité de 2/3 d’aboutir à la fermeture des 3 usines et à la perte des 6000 emplois, mais offre une probabilité d’1/3 de ne fermer aucune usine et de ne perdre aucun emploi. • Quel plan choisissez-vous ? • Les individus choisissent A plutôt que B, mais aussi D plutôt que C... Alors que ce sont des structures identiques !

14. Autres exemples d’erreurs dites « de framing »… • (Cf. transparent : Chirurgie ou radio-thérapie ?)

15. Problème de procédure : • Si l’on peut former 45 groupes de 2 unités à partir d’un groupe de 10 unités (AA, AB, AC, ... JJ), combien peut-on alors former de groupes de 8 unités à partir, également, d’un groupe de 10 ? • Réponse : 45 groupes ! • Bien qu’à chaque groupe de 2 unités corresponde un groupe de... 8 unités (les 8 qui restent lorsqu’on a formé un groupe de 2), l’évocation de cette symétrie est rarement disponible spontanément...

16. Nos représentations sociales… • John s’est inscrit à l’Université et possède 10 000 $ à la banque. Qui est John ? • Tom travaille pour le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique ; il s'entraîne régulièrement à la natation ; il se rase le crâne. Quel est l'âge de Tom ? • Claude est juge anti-terroriste et se déplace dorénavant avec un gros revolver. Qui est Claude ?

17. Commentaires : • Nous situons ces personnages en fonction de diverses représentations que nous avons de leurs figures sociales. • Nous situons ces personnages en prenant appui sur des stéréotypes et des pré-construits culturels.

18. COMMENT REDUIRE LES BIAIS COGNITIFS ? • Réponse 1 : ouvrir l'espace du problème, sortir du cadre... Exemples : • 1) Poursuivez la série de chiffres : 1 11 21 1211 111221

19. Autres exemples pour « sortir du cadre »… • 2) Poursuivez la série : u, d, t, q, c, s, ...... • 3) Poursuivez la série : 15, 30, 40, ..... • 4) Tracez 4 lignes droites sans lever la main...

20. Autres réponses… • 2) Multiplier les chemins possibles pour arriver à comprendre et résoudre le problème (Proverbe chinois : "La ressource est dans le détour"...). • 3) Tester régulièrement une autre procédure • 4) Rechercher le « 18ème chameau » : où réside le déplacement, le « truc » ?

21. Et encore… • 5) anticiper les mouvements en aval, c'est-à-dire les conséquences de nos décisions. Ce qui signifie : • a) Se donner une expertise générale plutôt qu'une capacité d'anticiper à H + 10 ! • Exemple :

22. … les joueurs d'échec… • … n'évaluent qu'à guère plus qu’H + 5 leur « profondeur de calcul » (soit le nombre, de mouvements successifs à prendre en compte...)... Mais, par contre, se rappellent, ou reconnaissent un grand nombre de positions rencontrées dans des parties antérieures, celles qu'ils ont gagnées, ou celles qu'ils ont lues, ou perdues...

23. Et encore… • Et b) se fixer une horizon d'exploitation (c'est-à-dire : limiter la profondeur de calcul à H + 4, mais maintenir constante cette profondeur, à mesure que l'action se déroule...) • 6) Ne pas s’enfermer dans une « fixité fonctionnelle »… • Une «  fixité fonctionnelle » ?

24. LA "FIXITE FONCTIONNELLE" • Voici une bougie, une boîte d'allumettes, une boîte de petits clous et un marteau. Veuillez s’il vous plaît fixer cette bougie, allumée, au mur de cette pièce…

25. C’est toujours pareil… • … un grand nombre d'individus tentent toujours de clouer la bougie au mur, directement. Ils n'y parviennent pas, s'acharnent, cassent la bougie, recommencent avec un morceau, etc. • La solution ?

26. Commentaire… • La solution au problème surgit quand la boîte de clous, au lieu d'être saisie dans sa fonction de contenant, se trouve recodée dans une fonction de support. • Il ne faut donc pas assigner une fonction invariable à chacun des éléments d'une situation (« fixité ») et lui préférer une « plasticité fonctionnelle », permettant de redéfinir les rôles que ces éléments sont susceptibles de jouer...

27. Poursuivons. Comment réduire les biais cognitifs ? • 7) Ne pas réduire l'espace du problème à ce que nous connaissons de lui, à ce qui affleure... • 8) Ne pas s’enfermer dans le problème qu'il faut résoudre : nous ne voyons plus que lui et nous sommes prisonniers de ce dernier (cf. la métaphore de la caverne chez Platon...)...

28. Comment réduire les biais cognitifs ? • 9. S’interroger sur les conséquences invisibles de nos décisions, même les plus anodines (surtout les plus anodines à nos yeux, celles qui ne semblent pas prêter à conséquences !). Exemples/ • Les agriculteurs soignent leurs bêtes contre les parasites intestinaux et les gentilles alouettes disparaissent… • Ah bon ?

29. Du bœuf à l’alouette… • Car les médicaments administrés par les agriculteurs pour lutter contre les parasites intestinaux des bovins contiennent de l’ivomec et du dichlorus => ce qui empoisonne les bouses ; aucun organisme décomposeur de ces bouses ne survit, faisant disparaître les proies des alouettes car aucun insecte de peut alors survivre sans se nourrir de ces micro-organismes…

30. Exemple 2 : les vieilles filles d’Angleterre et le trèfle… • (exemple tiré de Herbert Simon, Administration et décision, 1945) • Les vieilles filles aiment les chats, en élèvent beaucoup ; les chats mangent les souris ; les souris (et les chouettes-souris) mangent les bourdons ; or, le bourdon est l’agent fécondateur du trèfle ; donc, si pas de bourdons, peu de trèfle dans les champs… • Et Simon ajoute : chaque fois que le gouvernement légifère en donnant une prime au mariage, qu’il n’oublie pas qu’il va faire proliférer le trèfle dans les champs…