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Le duc de La Rochefoucault-Liancourt

Le duc de La Rochefoucault-Liancourt. Conférence de Georges Canal du 10 octobre 2007.

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Le duc de La Rochefoucault-Liancourt

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  1. Le duc de La Rochefoucault-Liancourt Conférence de Georges Canal du 10 octobre 2007

  2. C’est en 1947, en 1ère année de l’école d’Aix en Provence, que pour la première fois m’est révélée l’existence de ce duc, même si celui des Maximes m’était déjà connu. En ce temps là, j’avais simplement retenu, sans plus, que cet homme illustre, bienfaiteur dévoué, avait créé la première Ecole des Arts et Métiers. Vous comprenez alors, que cette étroite dualité entre un duc et une Ecole, est la raison essentielle du choix de ce sujet. Georges Canal 36

  3. François- Alexandre- Frédéric duc de La Rochefoucauld - Liancourt Ayant vécu 80 ans, répartis sur le XVIII et XIX siècles, ce duc a traversé des périodes mouvementées et chaotiques de l’Histoire de France, depuis la Monarchie Absolue de Louis XV, jusqu’à La Restauration, en passant par le règne de Louis XVI, La Révolution, La Terreur, le Consulat, le Temps des guerres, l’Empire ……. Vie exceptionnelle avec ses fidèles, ses grands desseins, ses contradictions, en un grand moment, témoin et acteur des vastes changements politiques et sociaux qui secouent La France de 1763 à 1827. Ses œuvres, ses créations, au cours de tout ce temps ont été très considérables. Dans le temps imparti, il n’était pas possible de traiter ce vaste sujet dans sa globalité.  C’est donc un condensé que je vous propose, visant à faire ressortir les principaux aspects de ce personnage aux multiples facettes, puisqu’il a été successivement : Agriculteur, Agronome, Fermier, Manufacturier, Industriel, Chef d’Entreprises, Inspecteur Général des Ecoles, Et surtout un homme politique, Pair de France, grand serviteur de l’Etat. D’abord il faut préciser l’origine de cette particule 1

  4. nobiliaire, qui découle d’une illustre famille des La Rochefoucauld, ancienne noblesse de L’Angoumois remontant jusqu’au règne du roi Robert II au XI siècle. Bien plus tard, un des membre de cette famille, François comte de La Rochefoucauld eut l’honneur de tenir le Roi François Premier, sur les fonds baptismaux, et depuis lors, l’aîné de la Maison des La Rochefoucauld a toujours porté le nom de François. Juste quelques mots sur cette grande Maison La Rochefoucauld, qui se décline selon un arbre généalogique assez impressionnant, présentant plusieurs branches d’une haute lignée de ducs, débutant par un François V (1588-1650), suivi par François VI (1613-1680), prince de Marcillac, celui des Maximes, puis François VII (1634-1714), François VIII François VIII de La Rochefoucauld 17 août 1663 † 22 avril 1728 Créé duc de La Rocheguyon en 1679 Alexandre, 5e duc de La Rochefoucauld 29 sept.1690 † 4 mars 1762 Marie de La Rochefoucauld Née en 1718 épouse en 1737 Louis François Armand de Roye de La Rochefoucauld 1695 † 1783 François Alexandre Frédéric de La Rochefoucauld Duc de Liancourt et D'Estissac Duc de La Rochefoucauld-Liancourt 11 janv.1747 † 27 mars 1827 2

  5. (1663-1728), jusqu’ici en chiffres romains. Notre duc apparaît après Alexandre le 5ième duc (1690-1762) et Louis Alexandre 6ième duc (1743-1792), cette date de 1792 n’est pas sans intérêt pour la suite. François- Alexandre- Frédéric le 7ième duc, d’abord de Liancourt ensuite de La Rochefoucauld, naquit à la Roche- Guyon entre Mantes et Château Gaillard sur le cours de la Seine, le Mercredi 11 Janvier 1747. Il était né du légitime mariage du très haut et très puissant seigneur, Mr Louis Armand - François de La Rochefoucauld, duc d’Estissac, et d’une illustre dame Marie de la Rochefoucauld, duchesse d’Estissac, sœur de la duchesse d’Enville. L’illustration de sa famille et les hautes fonctions de son père, grand maître de la garde- robe du Roi, l’appelait de droit à la cour de Louis XV, où il aurait pu faire un chemin brillant au milieu des scandales et des joies d’un monde qui n’avait alors d’autre loi que la licence (le marquis Donatien de Sade était de ce temps là 1740-1814). Une route, que plus d’un courtisan lui eût envié. Mais comme il le dit lui-même, appartenant à des parents vertueux jusqu’à la sévérité, à une famille où le véritable honneur celui qui est basé sur la morale la justice se perpétuait de génération en génération, il dut aux bons exemples des siens à la dignité et à la pureté des mœurs, d’avoir préservé dés ses premières années des entraînements trop souvent fatals de la jeunesse. Le duc dira, «  notre famille a toujours eu un égal éloignement, et pour l’état de domesticité et pour celui de l’intrigue. Tels sont les principes de notre famille, je les ai sucés 3

  6. avec le lait ; je les approuve et les partage » A 16 ans, à peine sorti de l’Ecole de La Flèche en 1763, du régiment des carabiniers, collège de huit à neuf cents élèves où l’essentiel de l’enseignement était le latin et que bien souvent dit- il « ces élèves ne savaient pas en sortant », on le vit, commencer à rechercher les travaux sérieux et à s’inspirer des vues de progrès qui germaient à l’époque, et ce en dépit du milieu dangereux dans lequel il se trouvait. Il dut plus tard, reprendre lui-même son éducation, avant de devenir un éducateur à son tour. Cette école de la Flèche, dont le duc de Choiseul, après l’expulsion des jésuites hors de France, en novembre 1764, fait le siège d’une école préparatoire à l’Ecole militaire de Paris. Appelé a cette époque Liancourt tout court, il épouse à l’âge de 17 ans, «  c’était l’usage du temps », Sophie Félicité de Lannion, dont le grand père Comte de Lannion, Pair de Bretagne, chevalier des Ordres du roi, lieutenant général de ses armées, était mort gouverneur de Minorque en 1762. Liancourt eut de ce mariage, trois garçons et une fille Aglaé décédée en 1789. En 1764, la dot ajoutée aux biens d’Estissac et Liancourt, constituent un patrimoine considérable où toutes les grandes terres étaient conservées. En 1775, la gestion seigneuriale s’exerçait sur 13 domaines, en Picardie, Bretagne, Anjou, Champagne, Languedoc, Provence. On y trouve un Bélestat en Languedoc. A cette époque le duc fréquente assidûment l’Hôtel parisien des La Rochefoucauld qui est le rendez vous des 4

  7. Encyclopédistes, Hôtel considéré comme le principal foyer de l’opposition libérale. En ce lieu se réunissent les hommes les plus distingués dans les Sciences et les Lettres. Diderot et Grimm font l’éloge de cette Maison. Les projets d’Encyclopédie, ont ceci de commun qu’ils considèrent tous que c’est seulement en partant du progrès des arts, c'est-à-dire dans le vocabulaire de l’époque, des arts utiles, des métiers, (les arts libéraux étant alors précisément qualifiés de beaux arts), que l’on pourra rendre compte du progrès des vraies sciences fondées par la dualité entre la pensée spéculative et l’activité pratique. C’est certainement là l’origine du nom de l’école, lequel associe les Arts et les Métiers. La tante du duc de Liancourt, la duchesse d’Enville, déjà citée, tient une grande place dans la Société du XVIII siècle et dans cet Hôtel. C’est une figure connue, estimée, active, souvent mentionnée dans bien des biographies, des mémoires et des correspondances. Elle aidera Voltaire dans sa défense du Chevalier de La Barre, qui avait refusé de saluer une procession, et elle interviendra aussi dans l’affaire Calas, ce négociant calviniste de Toulouse, devenu le symbole de la persécution religieuse et de l’intolérance. C’est au sein de cet aréopage composé d’hommes distingués du moment que le duc fera la connaissance de Diderot, d’Alembert, Condorcet, Quesnay, Turgot, Young, et qu’il s’initie à la Science des faits économiques. Il écoute ces hommes illustres et réfléchit. Il écrira dans ses mémoires « Quoique ma jeunesse ne semble pas appartenir à ma vie politique et sociale, je crois en dire quelques mots, car c’est à cette époque que j’ai pris le germe des pensées et des sentiments, qui plus tard ont déterminé ma conduite dans les affaires publiques » 5

  8. En 1768, le duc a 21 ans. Il a le sentiment que toutes les idées philosophiques et scientifiques acquises auprès d’hommes en renom, doivent déboucher sur le concret. Cette idée va l’habiter et l’animer durant toute sa vie. Il considère qu’il faut aider tout ce qui est utile et le raisonnement doit venir en aide à la pratique. Il est temps de chercher à former des hommes pour les carrières industrielles en associant « l’habileté de la main à l’intelligence de la science », c’est bien là l’idée force de toute son œuvre qui aujourd’hui peut paraître un truisme alors qu’à l’époque cela n’était pas une évidence. Le duc n’avait il pas saisi là, cette notion fondamentale de la Formation laquelle de nos jours a pris une importance capitale, que l’on ne peut transgresser. Aujourd’hui, dans l’industrie, l’apprentissage, par exemple des systèmes experts, de la robotisation et bien d’autres, sont tributaires, du savoir faire de la main de l’homme: Par exemple, « l’opération d’apprentissage dans le domaine de la robotisation » Le jeune duc, sait déjà que dans le domaine des Entreprises commerciales et Industrielles, l’Angleterre à cette époque a pris une avancée très marquante. Cet essor, l’incite à aller en Angleterre pour voir et apprendre les principes et méthodes qui y sont appliquées. C’est au cours de ce premier voyage, d’autres suivront, qu’il puisera toutes les notions qui le mettront à même d’être utile à son Pays. Il se rend dans le Suffolk chez l’économiste Arthur Young, rencontré au cercle des Encyclopédistes. Fuyant les cercles brillants de Londres, il passe ses journées dans les manufactures à examiner les machines, en prenant 6

  9. contact avec les ouvriers. Le duc est fasciné par cette industrie anglaise. Peut-être a-t-il eu le pressentiment qu’il y avait là, les prémices de cette fameuse révolution industrielle, laquelle dès la fin du XVIII siècle et durant tout le XIX va engendrer un énorme développement industriel, dont le point initial est certainement en 1769 la machine à vapeur, cette nouvelle source d’énergie, alors utilisée pour de nombreux travaux, machine réalisée par Watt, modernisée par Clapeyron, et rendue plus performante en 1827, par la chaudière tubulaire de Marc Seguin. L’énergie, avant que n’arrive la machine à vapeur, était fournie par les cours d’eau activant une roue à aubes, et aussi par l’éolien. Il faudra attendre dans le domaine des transports, le bateau à vapeur de Fulton, en 1807 et un peu plus tard en 1814 la fameuse locomotive de Stephenson, certes devenue désuète, mais qui a été un des principaux vecteurs de l’énorme développement des transports, phénomène marquant de ce début du XIX siècle, (exemple, le chemin de fer et la machine à vapeur ont permis le développement de la vigne en Roussillon). A son retour en France le Duc écrira des ouvrages : - Histoire des classes travailleuses en Angleterre, - Législation anglaise des chemins, qui ne sont pas encore de fer, - Les Etablissements d’humanité. Ouvrages dans lesquels apparaissent des idées et des opinions, qu’il s’efforcera de concrétiser tout au long de sa vie. 7

  10. A cette époque il était très proche du Duc de Choiseul premier ministre, ce qui malheureusement et indirectement lui vaudra d’éprouver une disgrâce de cour , lorsque Louis XV en 1770, sous l’influence du Chancelier Maupéou, et pour complaire Mme Du Barry, renverra son Ministre. Continuant à fréquenter dans les années qui suivent de ce XVIII siècle, les réunions philosophiques, le duc sera toujours impressionné par les Encyclopédistes, et aussi par François Quesnay le fondateur des Physiocrates. Il fait sienne la doctrine économique de ce savant, qui s’oppose au dirigisme Etatique. Ce sont les notions d’ordre naturel, de propriété, de liberté et de produit par la terre seule qui prévalent, l’Etat devant se limiter à promouvoir l’agriculture seule source de richesse, et à garantir le libre échange, (ce domaine de l’Agriculture, qui continue d’ailleurs à animer de nos jours, les débats politico- économiques aux niveaux européen et mondial). Lors de son deuxième voyage en Angleterre de 1784 à 1786 il notera de nombreux renseignements sur les méthodes de culture, les enclos, la fumure des terres, les rotations d’ensemencement etc. Concrétiser ces notions dans le domaine de l’agriculture, comme d’ailleurs plus tard dans celui de l’enseignement industriel, sera son programme aidé en cela par son ami de la famille, l’économiste Arthur Young qui l’avait accueilli dans le Suffolk. Economiste autant qu’agriculteur, le duc comprit avant la vente des Biens Nationaux, que la division des grands domaines était alors la condition du progrès Ses vastes terres de Liancourt furent partagées en lots, qu’il afferma aux personnes de son voisinage. 8

  11. En 1788 il essaya la culture de la pomme de terre, qu’Antoine Augustin Parmentier pharmacien militaire et agronome, avait répandu dans toute la France après examen chimique en 1773. Aussi en 1788, le duc tenta de détruire en France des jachères si préjudiciables à l’agriculture, notamment en établissant des prairies dans ses domaines. C’est toujours d’actualité, puisque on s’oriente vers la diminution des jachères. Les diverses visites qu’il rendit à l’Angleterre lui permirent d’observer la supériorité de l’activité de ce royaume. Il décida fort de ces observations de tenter un essai d’agriculture anglaise en 1790 à Louveaucourt . C’est ainsi qu’Arthur Young l’appela « le Farmer »      Les idées et les actions du duc dans le domaine de l’Economie agricole ont été considérables. Ce ne sont là, que les essentielles. Elles auront leur répercussion dans le combat politique qu’il mènera par la suite, sachant que le grand problème de la subsistance a dominé toute la vie politique de ce XVIII siècle. Ce problème de la subsistance, qui à l’époque va vers une tendance à la mendicité, provoquée notamment par le prix du pain, dont la part dans un budget populaire est de 50% en 1741, et grimpe à 88% en 1788. Les mauvaises années, et surtout les effets catastrophiques de la spéculation, les prix des grains augmentant plus vite que les salaires. Dans le monde actuellement beaucoup de pays connaissent ce problème de la subsistance. Outre le domaine agricole la grande passion du duc fut le développement industriel. Pour cela, entre 1776 et 1779, il effectue de nombreux voyages à l’étranger, encore en Angleterre, plusieurs fois, en Allemagne, et en Suisse. 9

  12. Il y étudiera toutes les questions commerciales industrielles et sociales. C’est à cette époque que naît en lui, le germe de l’Enseignement Technique, son idée force étant le rapprochement mutuel entre l’enseignement théorique et l’enseignement manuel. C’est ce principe fondamental qui va déterminer par la suite ses actions et ses œuvres dans la création des Ecoles.   Parallèlement le duc a une nouvelle idée de la Société, estimant comme Turgot, que la noblesse pouvait sans déroger, se livrer aux Arts mécaniques. Il considérait, comme les Encyclopédistes D’Alembert et Diderot que dans une Société transformée, les viles professions mécaniques avaient droit à une place d’honneur. Et lui, qui appartient à la noblesse donne l’exemple. En 1775, à 28 ans, il crée à Ratigny une tuilerie et une briqueterie. Puis à Liancourt, deux manufactures : l’une fabrique des cardes, l’autre une filature de coton. Aussi à Liancourt une filature de laine, de serges, des métiers pour des étoffes mêlant le lin, le coton, le chanvre. Les métiers qui fabriquaient ces sortes d’étoffes, étaient au nombre de 16 occupant 10 fileuses par métiers, soit au total 160 fileuses réparties sur plusieurs contrées de Liancourt à Béthancourt. En 1791, tous ces Etablissements employaient plus de 1000 personnes. Cette sorte de libéralisme pour l’époque, créé par l’avènement des industries mécaniques, incite le duc à continuer sur la voie de la concrétisation, à partir de nouvelles idées, toujours en respectant les principes du bien et de la morale. C’est ainsi, qu’en 1780 à 33ans, il va réaliser deux de ces grandes idées : 10

  13. - donner à ses ouvriers, à leurs enfants, l’instruction en même temps qu’un métiers utile, - assurer la vieillesse à ses ouvriers et les prévenir contre les aléas de la vie et de la maladie. Il crée pour cela une Caisse d’Epargne à Liancourt, et engage un médecin appointé pour ses manufactures, chargé de soigner gratuitement les ouvriers. N’est- il pas, en quelque sorte, le précurseur de La Sécu et de la Médecine du travail que nous connaissons aujourd’hui? Après le « Farmer », vient le duc Industriel. Il procédera à l’agrandissement de ses ateliers et à l’achat de nouvelles machines qui permettront, notamment : le tréfilage, et la fabrication de courroies. Dans ses diverses activités et créations, le duc a démontré la grande place qu’il accordait aux idées sociales, lesquelles étaient très avancées pour l’époque, ce qui naturellement du fait de ses origines le conduisait à devenir un homme politique pour défendre et faire progresser ses idées. Consacrons donc quelques instants à l’homme politique qu’a été le duc. A la fin du règne de Louis XV, le duc a 27ans. Il a donc vécu une partie de ce XVIII siècle qui voit triompher la raison avec un renouveau dans le domaine des idées, des arts, et des techniques.  Ce courant de pensée, qui fait prévaloir l’expérience raisonnée, et le droit d’opinions, donne son nom aux Lumières. La révolution culturelle s’opère par les Philosophes, les Sociétés savantes, les Académies. Héritiers du rationalisme cartésien, ils s’opposent 11

  14. à l’intolérance et au fanatisme. Ouvrons juste une petite parenthèse sur cette période des Lumières en citant cette force des pensées à l’origine d’ouvrages indéfectibles. En 1721 Montesquieu publie les satiriques Lettres Persanes, puis en 1734 De L’Esprit des Lois, critique sociale. En 1734 Voltaire a publié Les Lettres Philosophiques, éloge d’une démocratisation des Institutions. Et puis, c’est Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité, qui poursuit par l’Emile, plaidoyer pour une nouvelle manière d’enseignement, et puis par le Contrat Social une nouvelle manière de gouverner. Ces philosophes se rejoignent sur un point : la critique systématique, mais raisonnée de la Société Française en cette fin du XVIII siècle. Plus tard, de 1751 à 1772, c’est l’ouvrage colossal de l’Encyclopédie de Diderot et de d’Alembert, dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts, et des Métiers, ( 28 volumes dont 11 tomes de planches), véritable somme des connaissances du moment, mais aussi critique des institutions religieuses et monarchiques, et qui fut combattu par divers détracteurs opposés aux Sciences, et qui faillit ne pas voir le jour sous la pression des jésuites. Fermons la parenthèse. Il n’est pas douteux, que tout ce temps des penseurs, des moralistes, et des savants, ait dû fortement influencer notre jeune duc. Avait-il pressenti, cette nouvelle notion : de l’esprit public, et de l’opinion, forces incontrôlables, ce mouvement des idées pré- révolutionnaires qui allaient marquer le règne de Louis XVI ? Proche du Roi Louis XVI, le duc vécu de près, la 12

  15. période sombre de cette royauté. Le 14 Juillet 1789, (date éminemment historique s’il en fût), le duc s’est rendu à Versailles pour informer le Roi des mouvements du peuple de Paris. Le roi lui dit « mais c’est une grande révolte », « non sire, lui répondit-il, c’est une grande révolution ». C’était assurément une grande Révolution dont les retentissements, tant dans le temps que dans l’espace furent énormes. Devait-on la combattre, ou l’adopter ? Le duc militait pour que le roi adopte franchement les principes de la révolution, pour qu’elle se fasse avec lui et par lui, le seul moyen, d’empêcher qu’elle se fasse contre lui. Hélas la forte pression, qui s’exerça sur le roi par les aristocrates conduisit à la combattre. Dans les premiers temps de cette révolution, le duc avait été chargé d’annoncer dans la matinée du 15 à l’Assemblée Nationale, l’arrivée du roi, et il lui fut confié le soir, la mission d’annoncer à la Ville de Paris que le roi confirmait et autorisait l’établissement de la garde Nationale, laquelle après la prise de la Bastille fut commandée par Lafayette. Le duc fut élu par la suite Président de L’Assemblée Nationale et présida les débats agités de la nuit historique du 4 Août qui vota l’abolition des privilèges. Il était de ceux, ayant la conviction profonde, que le roi accepterait franchement la révolution politique devenue inévitable. Durant cette période révolutionnaire, le duc pris part à de nombreux travaux. Il fut nommé membre de la commission de la Constitution, et Président du Comité de la Mendicité dans lequel il œuvra énormément. Il est assez remarquable que bien plus tard, Jean Jaurès, 13

  16. dans son « Histoire Socialiste de la Révolution Française », rende hommage au duc, en écrivant « il y a là, sous entendant le comité de mendicité, au profit des dépossédés, un titre historique et social que nous ne laisserons point périr ». Dans son immense ouvrage (de plus de 1000 pages - grand format), « La Révolution Française » Louis Blanc, cite le duc parmi les députés de la noblesse lors de l’ouverture des Etats Généraux. Peu avant la fin de la Constituante, le 28 Septembre 1791, il sera à la base de l’établissement du premier code rural. N’ayant pas pu constituer «  le club des Valois », du fait de son peu d’affinité avec les Jacobins, il se retrouve dans une société dite « de 1789 », avec Lafayette, Mirabeau, Sieyes, Condorcet, cette société de 1789 qu’André Chénier, ce précurseur du romantisme, défenseur de Louis XVI avait fondée avec les frères Trudaine. On sait ce qu’il advint de ce jeune poète, pour s’être attaqué à la tyrannie des Jacobins. Qui n’a pas récité, la jeune Tarantine et l’émouvant poème de La jeune captive, «  Je ne suis qu’au Printemps, je veux voir la moisson,et comme le soleil de saison en saison, je veux achever mon année » Hélas le couperet est passé par là. Sans s’étendre davantage, sur cette période mouvementée, on retiendra que le duc restera l’homme de 1789 et de la Constitution de 1791. Bien qu’issu de l’aristocratie il avait noué des amitiés avec les libéraux. Hélas, cette sensibilité politique ne lui évitera pas l’exil. Sous le coup d’un mandat d’arrêt, il fut forcé de quitter 14

  17. la France. Il partit secrètement en Angleterre le 10 août, afin d’échapper aux bandes armées de Gauthier Coutance qui voulaient le tuer. Il gagna Abbeville et s’embarqua au Crotoy, déguisé en pêcheur, sur le bateau d’un pêcheur qu’il pensionna jusqu’en 1825. Il retrouva le Suffolk, et son ami Arthur Young. C’est là en 1792, qu’il apprit la nouvelle affligeante de la mort de son cousin Le Duc Alexandre de la Rochefoucauld, lapidé à Gisors. Il y apprit aussi l’accusation, puis la mort du Roi Louis XVI. Dans son exil, il entreprit un long voyage vers le nouveau continent aux Etats-Unis et dans le Haut Canada et jusque dans l’Inde, où il voulait continuer son étude des mœurs et des coutumes anglaises et poursuivre de nouvelles recherches. Fait important qu’il convient d’évoquer, c’est à son retour d’exil qu’il donna à la France, le moyen de se prémunir à l’avenir des ravages de ce fléau le plus actif à l’époque, la variole. Le duc importa le vaccin de cette maladie découvert par le médecin anglais Edward Jenner. Lorsqu’il revint en France en 1799, le duc avait 52 ans il fit imprimer le résultat de ses recherches sous le titre de « voyage aux Etats-Unis ». Ouvrage, regardé tant en France qu’en Amérique, comme un tableau fidèle des Etats-Unis à la fin du XVIII siècle. Il rapporta aussi un autre ouvrage sur les prisons, notamment celle de Philadelphie, pour marquer, ce qu’il manquait à celles de la France, (cette question des prisons est toujours d’actualité). 15

  18. Dès que le Premier Consul Bonaparte eut permis aux émigrés de rentrer en France, le duc dont l’exil le contraignit à rester presque 10 ans hors de son Pays, fut des premiers à avoir le bonheur de retrouver sa patrie. Il devança cette permission, et du rester caché à Paris sous le Directoire. Talleyrand ministre des Affaires Etrangères connaissait sa retraite et le voyait en secret empêchant qu’on le persécutât. Quelques temps après son retour, le duc créa un Comité de vaccine contre la variole, chargé de propager cette vaccine. Il fut le vaccinateur du Roi de Rome, « l’Aiglon ». On lui décerna le titre de Président perpétuel de ce Comité. Il continua à se consacrer aux œuvres d’assistance bien que la révolution lui imposât un changement d’attitude. Rang, fortune, influence, il avait tout perdu. Il n’était plus le président d’un important Comité, d’une Assemblée souveraine. Il rentrait en banni à la recherche de son foyer. Il ne savait ce qu’il allait retrouver de sa famille dispersée, de ses biens séquestrés, de ses amis exilés ou ralliés. A l’égard du Premier Consul, il hésitait entre son horreur pour les coups de force, et son admiration pour le génie. Par la suite, et pour clore ce condensé, sur l’homme politique qu’a été le duc, il faut ajouter que sous Louis XVIII, lors de la Restauration, il retrouva son rang de duc et de Pair de France, devenant officiellement depuis la mort de son cousin en 1792, le Duc de La Rochefoucauld- Liancourt. Depuis 1815, jusqu’à sa mort, le duc a soutenu dans la chambre des Pairs les opinions fondamentales de la liberté la plus sage et de la royauté constitutionnelle. Sur l’inamovibilité des juges, il réclamait les anciens principes des libertés 16

  19. françaises, rappelant que le pouvoir de juger devait être considéré comme un office et non comme une commission. En parlant du clergé il établissait que le sacerdoce était une fonction publique dans l’Etat. Au sujet des élections il disait que la Chambre des députés pour être utile devait être formée avec des éléments populaires. Il a été membre du Conseil général des prisons et a concouru à toutes les améliorations du régime des prisonniers. Il a été le premier a solliciter l’établissement d’une prison particulière pour les jeunes gens de moins de 16 ans, dans l’espoir de les ramener dans le droit chemin, en leur donnant pendant le temps de leur détention du travail et une bonne instruction, (c’est toujours d’actualité). Il a été aussi membre du Conseil Général des Hospices de Paris et à ce titre a été chargé : des incurables hommes du faubourg St Martin, et des incurables femmes de Montrouge. Il surveille l’Hôpital St Antoine, La Salpetrière et celui des vénériens. Et beaucoup d’autres activités comme la boulangerie générale, la pharmacie, les fourneaux économiques … Il nous reste à évoquer, outre le scandale de ses obsèques, la dernière partie de ce récit, dont l’objet initiateur n’est pas uniquement lié à l’intérêt présenté par la biographie d’un Duc, fut il celui de La Rochefoucauld, mais parce qu’essentiellement celui-là même, est indéfectible de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers, dont il fut le fondateur. 17

  20. Napoléon considéra, que le nom du duc était inséparable de l’Enseignement Technique, et qu’il en était aussi le restaurateur nécessaire et le patron naturel. C’est ainsi qu’il le fit nommer Inspecteur Général des Ecoles d’Arts et Métiers. En 1780, à l’aube de l’Enseignement Technique, pour lequel le duc est un farouche partisan, on peut penser que symboliquement La ferme de La Montagne, incluse dans le vaste domaine du Château de Liancourt dans l’Oise, est le berceau de l’Ecole des Arts et Métiers, ( précisons queMontagne est un abus de langagepour désigner somme toute qu’une petite colline). En 1779 au retour de ses voyages à l’étranger, il décida d’organiser l’instruction industrielle à la fois théorique et pratique. Pour cela il libéra les bâtiments de sa ferme y fit des aménagements, et construisit de nouveaux bâtiments. Au début, cet embryon d’école, est militaire, où sont admis des pupilles d’un régiment dont le duc est colonel. Il fut auparavant Lieutenant Général des Armées du Roi des provinces de Picardie et de Normandie. Car là, il faut préciser que les Larochefoucauld, sont de la noblesse d’épée, et même si l’art militaire ne joue pas chez eux un rôle aussi important que dans d’autres familles de même rang, ils sont présents tout au long de l’histoire de France, dans le service armé de terre ou de mer. Ces fils de militaire dans cette première école, apprirent à lire, à écrire, à calculer et aussi des rudiments de travaux manuels. Le corps professoral était militaire. Cette école comptait 120 garçons en 1787. Le Roi Louis XVI ami du duc s’intéressa au futur 18

  21. projet, d’école professionnelle et par ordonnance du 10 Août 1786, officialisa la future Ecole de La Montagne. La Révolution imposant l’exil, et ne tenant pas compte des idées progressives du duc suspendit l’essor de cette école. A cette époque certains contestèrent, que le duc de Liancourt fût l’initiateur de la première école française d’enseignement professionnel en attribuant la paternité à François de Sales. Mais tant François de Sales que Colbert avec les Gobelins, ne saisirent clairement la fusion nécessaire de la théorie et de la pratique (c'est-à-dire le savoir faire, le tour de main). L’histoire des sciences fait apparaître ce phénomène d’idées qui fleurissent à une même époque presque simultanément en des lieux parfois très éloignés, mais dont l’une possède la force de la concrétisation. Passons sur les moments difficiles et les transformations malheureuses que connut cette école au cours de la Révolution. Le duc alors en exil, avait laissé des souvenirs durables dans le cœur des populations de l’Oise. Leur gratitude inspira aux autorités révolutionnaires, la volonté de conserver sans y toucher, le château et le parc, qui échappaient ainsi à la destruction. L’Ecole connut alors une extension dans les bâtiments inhabités du château, la ferme de la Montagne devenant une annexe. Après de nombreuses péripéties cette école fût déclarée Nationale officiellement le 25 messidor de l’An VII (14 Juillet 1800). Malgré une dure discipline, les élèves à cette époque de 19

  22. disette, où régnaient la gale et le scorbut n’en étaient que plus vaillants. Chaque matin, ils chantaient un hymne, en forme de prière, avec un accompagnement militaire. Hymne composé par leur Directeur Crouzet (agrégé de lettres et poète à ses heures) qui avait été Principal au collège du Panthéon Français. La musique était de Wilhem (Guillaume Louis Bocqueville), professeur de cette même discipline. Cet hymne, comportait en alternance, 6 strophes à une voix, et 6 strophes en chœur. Les paroles sont très significatives de l’époque. Quelques exemples : « Bénissons l’Etre Suprême Il veille à notre destin Il nous protège il nous aime Il est le Dieu de l’orphelin » Et plus loin, « Jurons une haine éternelle Au joug avilissant des Rois Et rendons un culte fidèle Au dieu de l’Univers, à la patrie, aux lois » Ces deux hommes Crouzet et Wilhem, s’efforcèrent de gérer cette Ecole, le mieux possible malgré les difficultés du moment. Voilà d’une manière condensée ce que fut durant la Révolution cette Ecole de Liancourt. Son histoire va se poursuivre avec plus ou moins de bonheur à travers les différents régimes politiques de la France. Pendant le Consulat et l’Empire, lorsque le duc rentre d’exil en 1799, le gouvernement choisit une autre localité 20

  23. pour cette école, installée dans son château, pendant le séquestre. Devenue trop exiguë, pour accueillir, nombre d’élèves, La Ferme de la Montagne- Liancourt céde sa place pendant 4 ans aux fastes de la vie de château à Compiègne sous la dénomination de « Prytanée Français ». En 1800, Le Premier Consul, visite pour la première fois cet établissement et inspiré par le duc, il résolut de lui donner une autre destination. On cite ces paroles de Bonaparte « l’Etat fait de grandes dépenses pour élever ces jeunes gens, et quand leurs études sont terminées, ils sont à l’exception des militaires, d’aucune utilité pour leur pays. Il n’en sera plus ainsi, nous en ferons désormais des sous officiers, mais, pour l’Industrie ». A son retour dans la capitale, il chargea une commission spéciale composée de savants illustres : Monge, Berthollet, Laplace, de lui soumettre un projet pour l’établissement de plusieurs écoles d’Arts et Métiers aux frais de l’Etat. Le Premier Consul, approuva ce projet et ordonna, que toutes dispositions fussent prises pour transformer le Prytanée Français de Compiègne, en une école d’Arts et Métiers, et ce par décret du 6 ventôse de l’An XI. Dès lors l’établissement de Compiègne, prit une autre physionomie. Le latin et le grec furent exclus du programme, au profit des mathématiques et du dessin appliqué aux arts. Des ateliers, de forges, de fonderie, d’ajustage, furent installés dans une des parties reculées du vaste château de Compiègne. Les élèves au nombre de 400, étaient répartis en deux 21

  24. grandes divisions lesquelles vont subsister jusqu’en 1808. - celle des « artistes » comprenant les plus âgés, -celles des « commençants » composée des plus jeunes, qui suivaient seulement les cours théoriques jusqu’à l’âge de 13 ans, avant leur incorporation dans la classe des artistes. Il faut ajouter que dans la prévision d’autres besoins, que ceux de l’Industrie proprement dite, étaient adjoints au programme, à titre d’exercices salutaires pour les développements physiques, celle du soldat et des manœuvres militaires. Dans les premiers temps de cette école de Compiègne, on considéra, que ce programme, n’était qu’une sorte d’ébauche d’Enseignement Technique. C’est 3 ans après, le 6 ventôse de l’An XI, (mars 1807) que le duc de Liancourt fut désigné par le gouvernement, pour en être l’Inspecteur Général. Cette nomination marque le véritable point de départ des Ecoles. Les développements ne pouvaient toutefois se manifester que lentement, Mais les améliorations ne tardèrent pas à se manifester, et une occasion opportune se présenta à la faveur du transfert de l’école de Compiègne à Châlons- sur- Marne. Ce fut un beau jour que celui qui vit s’installer les élèves de Compiègne dans la nouvelle école de Châlons. Certes oui, mais cependant, on ne peut passer sous silence, le voyage de Compiègne vers Châlons, par Soissons et Reims des élèves qui se fit en décembre 1806. Il serait aujourd’hui qualifié de dramatique, Car ce transfert dont on ne parle guère quelque peu éludé serait estimé catastrophique ayant coûté la vie à plusieurs jeunes gens 22

  25. ou enfants en raison du froid, de la fatigue et d’une alimentation indigente. A cette nouvelle école de Châlons, les études mathématiques étaient satisfaisantes, grâce au nombre d’années, qui leur était consacrées. La pratique en revanche, était passable. Aux ateliers déjà existants on avait joint des ateliers de filature, d’horlogerie, de ciselure, …… L’industrie de notre Pays à cette époque peu active, comparativement à nos voisins notamment l’Angleterre, ne permit pas à cette école d’enrichir son programme sur des cas concrets. D’autre part, s’imposait pour la formation pratique, la nécessité d’ateliers plus vastes, mieux aménagés, en relation avec le niveau de l’industrie. C’est la difficulté qu’ont éprouvé à l’époque, ces écoles techniques par la carence en outils et machines, et ce en raison de leur coût. C’est l’arrêté du 5 septembre 1806, qui ordonna le transfert de l’école de Compiègne à Chalons- sur- Marne. Et là, si l’école de la Ferme de la Montagne, en 1786, peut-être considérée comme le berceau des Arts et Métiers, 1806 s’érige comme une date majeure, tournant marquant, point d’encrage dans l’histoire de cette Ecole. L’Empereur continuera à encourager l’école de Châlons, et ses ateliers en leur faisant commander des produits allant des caissons d’artillerie à des meubles exceptionnels, considérés comme des ouvrages d’art, et meubles d’apparat. La deuxième école d’Arts et Métiers, l’école d’Anjou trouve son origine à Beaupréau (en Maine et Loire). Elle ne 23

  26. pouvait accueillir que 150 élèves et ses ateliers exigus, manquèrent aussi d’outillages. Cependant elle forma de bons dessinateurs et mathématiciens. Cette école d’origine républicaine fut mal accueillie au sein d’une population royaliste. Pendant les Cents Jours, la sécurité de l’école se trouva compromise. Des bandes d’insurgés de la Vendée vinrent attaquer les élèves jusque sous les murs de la ville. Le transfert à Angers fut immédiatement décidé, et les derniers jours de Mars 1815 virent le personnel de l’école s’installer définitivement dans les bâtiments de l’ancien couvent de Ronceray. Les élèves suivirent. Passons rapidement sur cette fin d’Empire, qui fut aussi difficile pour l’école de Châlons, dont la ville dut lutter contre l’invasion. Aussi, ces 2 premières écoles pendant cette période, n’atteignirent pas les objectifs d’enseignements industriels qu’elles s’étaient fixées. La France de la Restauration, après la paix retrouvée pouvait laisser espérer une consolidation et un essor des écoles Arts et Métiers, mais trop d’embarras entravaient le nouveau gouvernement, car l’objectif majeur était le redressement financier et économique d’un pays aux revenus encore principalement agricoles. De son côté l’Industrie ressentait les premiers effets de la Révolution Industrielle. Un peu plus tard, en 1825 la machine à vapeur fournissait l’énergie à l’industrie textile. Le Creusot fabriquait 40 machines à vapeur par an. La Restauration, laissa provisoirement au duc son titre d’Inspecteur Général des écoles, mais ne fit rien pour le 24

  27. seconder. Les raisons qui attachaient le duc aux écoles techniques les rendaient suspectes aux Ultras. En somme, la Restauration n’aima pas les écoles d’Arts et Métiers, qui la payait de retour. Dès 1822, on y chantait des chansons séditieuses et les élèves arrachaient les fleurs de lys des collets de leurs habits. C’est miracle que celle-ci ne les ait pas supprimé. C’est à cette époque, qu’eût lieu le procès qui fit suite à la fameuse révolte de l’école de Chalons les 1et 2 avril 1826, et aux obsèques du duc en 1827. Pour raisons politiques, le directeur Labate homme du duc, très estimé, ancien membre de la commission scientifique de l’expédition Bonaparte en Egypte, fut remplacé par le vicomte Boisset Glassac ancien préfet de la Congrégation. Le comportement de ce nouveau Directeur sera la cause de cette révolte des élèves. Il refusa l’accès de l’école à un juif nommé Brissac, fils d’un fabricant de Lunéville. Il s’en prit aussi à un professeur nommé Varin dont les idées n’étaient pas celles de la Restauration. Il persécuta les élèves qui ne croyaient pas et encouragea leur dénonciation, rendant ainsi la religion exécrable et odieuse. C’est ce climat et la succession de nombreux incidents qui entraînèrent les élèves à se révolter. Le 1ier avril 1826, ils mirent à sac le foyer des surveillants et se barricadèrent dans le dortoir, en causant aussi d’autres désordres. La répression fut brutale. Huit élèves, traités comme des assassins furent envoyés devant la cour d’assises de Reims, enchaînés deux à deux en parcourant trente lieues à pied pendant la saison la plus rigoureuse, sous des torrents de pluie et couchant dans des cachots. Le duc qui avait été révoqué en 1823, choisit un avocat nommé Claveau, qu’il 25

  28. prit à sa charge. Il apporta ses soins aux jeunes accusés. En définitive, les élèves furent acquittés, par une cour présidée par un magistrat indépendant. L’élève Christophe, principal accusé comparut en hussard porteur d’une médaille d’argent obtenue par un acte de courage ayant sauvé 8 cuirassiers qui allaient se noyer dans la Marne. Après la mort du duc, l’histoire des écoles est encore mouvementée. Bien que le duc n’ait pas connu la création de l’école d’Aix en Provence en avril 1843 puisqu’ il décède en 1827, il convient d’évoquer cette école d’Aix qui a accueilli de nombreux jeunes catalans, dont la plupart avaient accompli leur préparation au concours AM, à l’Ecole Primaire Supérieure, la « SUP » de Perpignan, place de l’Arsenal, école aujourd’hui disparue. Il reste malgré tout, pour un certain temps, une Amicale d’Anciens, quelque peu nostalgiques de ce temps là. (Notre regretté Président Fondateur de Rivages des Arts était de cette Amicale, et aussi de celle du Lycée Arago, dans lequel fut intégrée la Sup) La création de cette troisième école d’Aix est l’œuvre du Ministre Thiers, qui entreprit un nouveau mouvement de réorganisation, car la révolution de 1830 avait remis en question les écoles. Elles repassent alors brusquement au régime militaire, qui vint leur rappeler les jours belliqueux de l’Empire, ce qui n’améliora pas les études. Les élèves portaient le shako, avec la cocarde tricolore et le pompon, Les exercices militaires étaient de rigueur. De 1830 à 1837, les travaux des élèves ne leur furent guère profitables. Encore une fois une opposition systématique vint remettre en question l’opportunité des 26

  29. écoles Arts et Métiers. Sous l’influence, et la protection d’une part du baron Charles Dupin mathématicien, homme d’Etat, ancien Ministre de la Marine grand ami des Gadz- Arts, et surtout du Ministre Thiers les écoles passèrent en 1832, sous la tutelle du Ministère du Commerce et des Travaux Publics qui seraient actuellement le Ministère de l’Industrie. D’aucuns regretteront que cette tutelle n’ait pu officiellement perdurer. Thiers nomma à la tête des deux écoles Chalons et Angers deux directeurs l’un Vincent, Ingénieur de la Marine, l’autre Dauban ancien élève. Hommes compétents et habiles ayant la confiance et l’appui du Ministère. Un essor fut dès lors donné aux 2 écoles lorsque Vincent fut nommé Inspecteur général des Ecoles. Celui-ci, se préoccupa vivement de trouver dans l’Industrie, des situations aux élèves ayant terminé leurs études. En 1834 et 1836, il avait placé un grand nombre d’élèves dans les Ateliers de l’Etat, à Rochefort, à Indret, à Toulon. Les mécaniciens sortant de Chalons, pour la plupart, apportèrent à la conduite et à l’entretien des machines à vapeur, une pratique plus appropriée. Ainsi les Chemins de fer, comme aussi ceux de la Marine, abandonnèrent- ils les mécaniciens anglais, pour les remplacer par des mécaniciens français issus en grande partie des écoles Arts et Métiers. Dans ce début de véritable révolution industrielle, les ateliers de construction, s’ouvraient de toutes parts et se développaient :   Le Creusot, Indret sous la direction de Gengembre, les Etablissements Derosne et Cail, les ateliers des 27

  30. des Saulnier, et des Piet, des Durenne (tous des AM), allaient successivement se créer, s’organiser, pour se mettre à la hauteur du mouvement d’industrialisation. Ces résultats étant assez significatifs, le besoin de contremaîtres et de chefs de travaux, devenant urgents, justifièrent de la création le 17 avril 1843, de la troisième école d’Arts et Métiers à Aix en provence. Il faut ajouter, que le 23 mars 1847, l’Administration du Ministère de l’Intérieur donnait à la Société des Anciens élèves, le droit de se constituer définitivement. Cette Société devenant en quelque sorte l’ange gardien des écoles. Aujourd’hui cette Institution a pour siège le somptueux Hôtel de l’Avenue d’Iéna à Paris. ……………………………………………………………… Hélas ! duc ou pas duc, sonne la dernière heure. Se borner à donner la date de sa mort, et mettre un point final à ce récit serait ignorer le scandale de ses obsèques. Obsèques assez singulières, eu égard à leur originalité versant dans l’horrible. . Au bout de toutes ces années, fatigué le duc se rendait rarement à la Chambre des Pairs. Sa maladie fut de courte durée. Le vendredi 23 mars 1827, il sentit arriver sa fin, mais avec courage, le plus simple, « il faut que tout se passe dit-il, le plus naturellement ». Il refusa jusqu’à son dernier soupir, les pratiques auxquelles il ne croyait pas ; « ce n’est point là, la vrai fin, ce sont les erreurs humaines ». A peine les Anciens élèves de l’école des Arts et Métiers de Chalons eurent ils appris la mort du duc, qu’ils vinrent en son Hôtel de la rue Royale, demander la permission de lui rendre un dernier hommage. Le jour de la cérémonie, ils se réunirent autour du 28

  31. cercueil et le portèrent sur leurs épaules depuis l’hôtel jusqu’à l’église de l’Assomption. Lorsque les prières furent achevées, les élèves reprirent le cercueil. Ce fut alors qu’un inconnu, sans montrer aucun ordre fit avancer d’autres porteurs. On cria que la famille ne permettait pas que le corps fût porté à bras, et les élèves le remirent avec regrets sur le char ; mais lorsque la famille justement indignée s’écria qu’elle y avait consenti et qu’elle y consentait encore, ils reprirent le cercueil aux mains des porteurs. Déjà ils avaient traversé la cour et fait quelques pas rue St Honoré, lorsque sur un ordre secret remis par le même homme, qui fit connaître ses qualités de Commissaire de Police, à l’officier commandant le détachement de l’escorte, celui-ci, ordonna à quelques hommes de sa troupe de tomber sur les huit jeunes gens. Voici d’ailleurs, la relation du duc de Broglie sur les scandaleux incidents quisuivirent : « Le commissaire devient plus impérieux, l’ordre d’abandonner le corps est donné aux élèves qui déclarent vouloir le garder. Les baïonnettes demeurées jusque là dans le fourreau, sont mises au bout des fusils ; à la vue des soldats qui s’avancent pour s’emparer du cercueil, les assistants les plus proches entourent les jeunes porteurs ; on se mêle, on se pousse, une sorte de lutte s’engage, le cercueil oscille, à plusieurs reprises sur les épaules des élèves, mille voix s’adressent au commandant de l’escorte pour qu’il fasse cesser le conflit impie. » J’ai des ordres formels s’écrit-il voulez vous que je me fasse destituer » Tout à coup, un cri perçant s’échappe de toute les fenêtres placées au dessus du lieu de la scène ; un bruit sourd se fait entendre, c’est le cercueil qui tombe sur le pavé. Il s’ouvre à la grande horreur de la 29

  32. famille éplorée et du cortège éperdu, laissant le cadavre barboter dans le ruisseau de la rue. On y pourvoit de toutes mains et tant bien que mal. Le vide se fait autour des soldats qui relèvent le cercueil à demi brisé, ramassent dans le ruisseau les insignes du défunt et son manteau de Pair souillé de boue, et le placent sur le corbillard ». Le cortège se remit en marche pour la barrière de Clichy. Là, Charles Dupin prononça l’éloge funèbre. Le convoi arriva à Liancourt, alors que la pluie tombait à torrents. Le menuisier de Liancourt dut travailler toute la nuit pour restaurer le cercueil. Les obsèques eurent lieu le lendemain, la dépouille du Duc fut portée à sa dernière demeure dans le parc de son château, au milieu des arbres, dans un endroit appelé « l’Ile d’Amour » La scène des obsèques, souleva un douloureux émoi dans le pays. Le gouvernement essaya d’étouffer le scandale, la presse et l’opposition de le grossir, et d’aviver les regrets. On en fit une arme contre le Ministère. Les deux chambres s’émurent aussi. Le duc de Choiseul dénonça à la Chambre des Pairs «  un attentat inouï contre le respect du à la cendre d’un de ses membres les plus vénérables » Les Assemblées, les Associations, les Comités que le duc avait présidé, ou dirigé vinrent déposer leurs hommages sur le cercueil profané. De nombreux hauts personnages rendirent justice à sa bonté, à sa curiosité, à son désir de faire servir la science au progrès social. ……………………………..  Le duc disparu, l’école des Arts et Métiers poursuit son chemin, orpheline de son fondateur. De 1827 à nos jours, deux siècles presque écoulés, 30

  33. l’Odyssée de cette école, ne sera pas un long fleuve tranquille. Il y aura des hauts et des bas, toujours sous l’influence de pressions politiques. L’aristocratie n’aime toujours pas l’Enseignement Technique. Il y aura même à certaines époques, des détracteurs, qui militeront pour la disparition de cette école. Tantôt les régimes de l’école seront militaires, lorsque les canons tonneront aux frontières, tantôt ils deviendront civils. Des réformes tant pédagogiques, qu’organisationnelles, des changements de statuts…..se succèderont, pour de nos jours aboutir à des cursus et des programmes adaptés aux nouvelles technologies, dans un contexte de mondialisation, qui implique outre des connaissances abouties, dans les domaines des techniques et technologies, celles des langues notamment l’anglais, sans oublier la maîtrise du français. Le duc aura œuvré pour la création de 4 écoles : Liancourt en 1780, Compiègne en 1801, Chalons en 1806 (qui a fêté son Bicentenaire en décembre 2006), et enfin Angers en 1819. Après le duc seront crées : Aix en Provence en 1843, Lille en 1900, Cluny en 1901, Paris en 1912, Bordeaux Talence en 1963 Viendront s’ajouter : Metz en 1997(Centre Franco- Allemand) en liaison avec l’Université de Karlsruhe, Chambéry en 1995 (Institut de formation Post diplôme (conception mécanique et environnement), Bastia en 2000 (Institut de formation, énergie renouvelables). Il faut ajouter, que par décret du 29 Août 1963, les écoles précitées, sont devenues une entité sous le titre de : Ecole nationale Supérieure des Arts et Métiers, (ENSAM) Depuis cette école, se décline en : - 7 Centres Régionaux, 31

  34. - 1 Centre Interrégional (Ecole de Paris où s’effectue la 3ième Année, et où réside le Directeur Général. - à ces 8 Centres il faut ajouter les 3 Instituts déjà cités. Plus récemment, par un décret du 2 Mai 1990, l’Ecole a été désignée, Etablissement Public, à caractère scientifique, culturel et professionnel, sous la tutelle du Ministre, chargé de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi chaque école est un centre de recherche. Au total on compte 23 laboratoires réunissant environ 300 chercheurs. Une Société la SERAM favorise les relations entre l’ENSAM et les Entreprises Industrielles. Outre l’Association des Anciens élèves, une Fondation Arts et Métiers a été reconnu d’utilité publique par décret du 13 sept 1978. En 1964 l’école voit entrer la première fille. Leur nombre oscille autour de 10%. Depuis octobre 2007, date à laquelle cette conférence a été faite dans le cadre de l’Amicale culturelle de Rivages des Arts, l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers a intégré ParisTech, Institut des Sciences et des Technologies initié en 1991, lequel constitue actuellement un ensemble de 12 grandes écoles, comparables aux grandes universités mondiales, ParisTech est devenu en 2007 un Etablissement public de coopération scientifique (EPCS), avec un statut de Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES). Les Associations des Anciens Elèves de ces Ecoles se sont regroupés sous la dénomination ParisTech. Désormais, le long chemin suivi par notre Ecole, relaté dans ces pages, devrait s’intituler « De Liancourt à Arts et Métiers ParisTech » 32

  35. Ce ne sont là que quelques dates qui jalonnent l’histoire de l’école, après la disparition du Duc, et dont la relation dépasse largement le cadre du sujet. Comme aussi d’ailleurs pourrait s’ajouter, la contribution considérable apportée à la grande histoire des Sciences, des Industries, des Technologies, et à leur essor, au cours des XIX et XX siècles, par des ingénieurs Arts et Métiers en renom. En conclusion, on retiendra que le Duc de La Rochefoucauld- Liancourt exerça en dehors, et au dessus des partis une magistrature originale. On le considère comme le Franklin de la Restauration, avec une dignité nouvelle : celle de la charité, et avec des tendances nettement démocratiques. Il croit à l’émancipation intellectuelle du peuple par l’école à son émancipation économique par la prévoyance, et le droit au travail. Il n’est pas un métaphysicien, il respecte l’idée religieuse mais comme une force sociale. Il n’aime, ni l’Ancien Régime ni la Restauration et rêva de la meilleure des royautés constitutionnelles sans craindre la poussée profonde de la démocratie. C’est par là même qu’il se distingue des grands bourgeois, des grands industriels, au milieu desquels il vécut. Sa maxime favorite était « L’homme le plus heureux est celui qui fait le bonheur d’un plus grand nombred’autres hommes » 33

  36. Aujourd’hui, s’il revenait en ce monde : -il serait fier de voir l’essor pris par son Ecole, -il constaterait le colossal développement généré par les successives révolutions industrielles. -il découvrirait certains effets pervers des prolongements de la Science. -il serait abasourdi par les défis auxquels l’homme se trouve confronté du fait même de ses réalisations industrielles. Serait-il écologique ? - estimerait-il que la Science, s’est réalisée sans conscience, au risque de ruiner nos âmes, à l’image du grand Albert, le père de la relativité, s’écriant « mon Dieu !quel malheur ! » alors qu’il avait aidé indirectement le programme Manhattan de la bombe atomique américaine ? Ce n’est là qu’une réflexion personnelle en marge de ce propos. Voilà ! telles furent la vie et l’œuvre du duc de Larochefoucauld - Liancourt, que j’ai essayé de résumer dans ce propos contenu. Peut - être penserez vous, que ce récit a été trop hagiographique ? Mais, je ne pouvais pas faire autrement, pour notre bienfaiteur, dévoué, fondateur de notre Ecole. 34

  37. Jardinière du Zodiaque Présentée par l’Ecole des Arts et Métiers de Châlons à l’Exposition des Produits de l’Industrie de 1819, cette jardinière est acquise par le roi Louis XVIII pour sa nièce la duchesse d’Angoulême. (musée du Louvres, Paris) 35

  38. Au terme de ce propos, je voudrais remercier tous ceux qui ont permis la tenue de cette conférence, laquelle a été une première pour moi, même si au temps de mes activités professionnelles, ce type d’exercice était assez fréquent, mais toutefois sur des sujets techniques et technologiques, qu’alors je possédais. Remercier aussi, l’ami André Justafré, camarade major de notre promotion 47, pour son précieux concours en tant qu’ingénieur de l’image. Je vous remercie de votre attention.  Conférence faite par Georges Canal le 10 octobre 2007 Diaporama réservé à usage privé. Aucun blog etc. n’est autorisé à diffuser ce document RIVAGES DES ARTS Mas Sant Vicens BP10408 66004 Perpignan http://rivagesdesarts66.free.fr

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