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La mutinerie des Datura

La mutinerie des Datura. fleurs gardées vivantes Photographies de Pierre Barès : Défloraison. Sabía que en remotas playas de oro Era suyo un recóndito tesoro Y est aliviaba su contraria suerte ; Il savait qu’en de lointains rivages d’or Était sien un trésor caché. Cette idée

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La mutinerie des Datura

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Presentation Transcript


  1. La mutinerie des Datura fleurs gardées vivantes Photographies de Pierre Barès : Défloraison

  2. Sabía que en remotas playas de oro Era suyo un recóndito tesoro Y est aliviaba su contraria suerte ; Il savait qu’en de lointains rivages d’or Était sien un trésor caché. Cette idée Le consolait de son malheureux sort. Blind Pew, L’auteur et autres textes. Jorge Luis Borges. L’Imaginaire/Gallimard, p.151

  3. Pour voir clair en l'aventure, Petite Philocalie se remémore le jardin. Tôt ce matin de juillet, la voilà en partance au son de la  trompette des anges. Le sentier bifurquevers la plantation de Datura. Elle espère une touffe aux corolles érigées, un bosquet de verdure choisie, un microcosme, une île mystérieuse, une retraite d’artiste. Parfaitement non conforme à son attente elle voit une défloraison. Elle dérive au-delà de toute mémoire accessible. Elle se laisse aller à de fortes précipitations venues de l’enfance. Les fleurs n’exposent pas leur beauté triomphante mais l’image de leur vie et l’intelligence de leur mort.

  4. Le mouvement organique de la dégradation des fleurs leur redonne naissance. Incarnation de savoirs multiples le regard de l’artiste s’inscrit en elles. Une série de photographies de Pierre Barès*. Un récit commence : la recherche d’un trésor ― et c’est là où je veux en venir ―. Treasure Island, consolation du rêve sur la réalité, du monde d’un enfant sur celui des adultes, du détachement sur la souffrance, du dépassement de soi sur le manque, d’un vieux corps désarmé et fragile sur un jeune corps érectile, agressif et cadré, L’Île au trésor c’est la revanche des fleurs fanées sur les fleurs de toute beauté. Petite Philocalie reprend un sentier mille fois parcouru. Seule avec son rêve, elle prend la mer sur un brigantin nommé La Argentina. Elle est incapable de manœuvrer la moindre barquasse, mais elle espère se tirer d’affaire en voguant dans une embarcation capricieuse. *lire Diane’s Smoked Portraits http://remue.net/spip.php?article86

  5. Capriccio, capo, tête hérissée, frisson d’inquiétude, idée fantasque, disposition d’esprit à des changements fréquents, forme ni agressive, ni défensive, à l’écart des normes esthétiques, hors rapports de force, Caprice, le nom d’une Datura photographiée en état de défloraison. Codes vestimentaires sortis de La Mode Illustrée de l’année 1887, jupe en faille blanchâtre garnie au bord inférieur d’un volant plissé en faille de nuance mauve lui-même recouvert d’un volant froncé en faille d’une valeur plus soutenue ― « faille » de faillir : laisser un manque ― , trois manques sur le corset cambré et les dentelles vaporeuses, en tablier une guirlande de trois fanions violets, dessous la draperie plissée un ruban ottoman noue une tunique en tonkinoise gris ocre indéterminé, la ceinture forme un vide, le contraire d’un creux, dans l’ouverture un pistil nu, des oripeaux, une fleur obsolète, courbe fermée, allongée, rétrécie, desséchée, ruine du temps. Dans un monde sans excuse, sans prétexte, sans circonstance atténuante pour toute fleur non performante, Caprice est bannie.

  6. Face à ce qui se dérobe la fleur n’est plus assujettie à l’obligation d’être belle. Elle s’apprête à la mort en souriant. Ce n’est pas l’acte de mourir qui est redoutable mais la manière. Il y a douze ans l’artiste fit un voyage au Japon. Il a vu un acteur de No se transformer sur scène. Il avait voulu photographier ces moments de métamorphose. Mais il aurait fallu leur donner « tout son temps ». Il a renoncé « et ça revient avec les fleurs, dit-il, qui font aussi bien et elles posent. » La palinodie comme méthode de travail. Au cours de ce même voyage, une première rencontre avec Yukio Nakagawa. Un cheminement muet au travers des pommiers en fleurs. Les langues sont étrangères, les gestes émus sont universels. Le corps nain et bossu du vieil artiste japonais s’accroupit tout ratatiné, un bonsaï humain à côté d’une souche biscornue sortie de terre qui pose pour l’artiste venu de France d’un lieu dit Paradis. Tout au long de sa longue vie ― Yukio Nakagawa est né en 1918 ― le petit homme accroupi, le grand artiste, a travaillé pour et avec les fleurs. Le trait principal de sa démarche artistique est d’intégrer le processus de dégradation comme une part constituante de la vie des fleurs.

  7. Petite Philocalie entrave ses pieds dans les plis de la jupe de Phantastica, une autre Datura en état de danse immobile. Elle se retient à la tige qui lui transmet la tache noire [The black spot], annonciatrice de mort dans le monde des pirates. Sous l’effet alcaloïde de la fleur Petite Philocalie chancelle, bascule, tombe dans une barrique vide ― presque vide ! ― de Caprice [un Sauternes moins sucré, plus léger, un plaisir immédiat. Le jardin du Paradis est dans le Sauternais]. Les effluves hypnotiques du tissu velouté des pétales retournés de la Datura et les vapeurs d’alcool qui montent du fond de la barrique l’enivrent. Plaisir immédiat mais durable : la photographie immobilise les gestes d’ivresse les plus extravagants. Les jambes et le cœur manquent pour sortir de cet abri soporatif. ― Même avec les jambes et le cœur on n’en sortirait pas car c’est là qu’apparaissent les choses. ―

  8. Un groupe de fleurs pirates s’est retiré dans l’endroit le plus sombre de la soute de la Argentina. De cette place embusquée leurs paroles s’entendent. Papaver Bracteatum hisse le pavillon noir [Jolly Roger] et intime à quatre Datura l’ordre de lancer une mutinerie et de prendre d’assaut le navire dirigé par le capitaine Grand Almotasim. À ce nom, tout ce qui entoure Petite Philocalie tourbillonne dans un brouillard épais. Celle qui ne sait pourtant pas exactement ce que c’est que défaillir tombe dans les pommes, en l’occurrence dans le Caprice.

  9. Les fleurs aussi rêvent de boire. The flower of the flock, Long John Silver à la jambe de bois, au tricorne blanc garni de liseré violet, Capitaine Pirate [Carmen Hacedora dirait CP, je ferai comme elle] obnubilé par la prémonition du trésor mène l’insurrection des vieilles fleurs avec méthode. - Il y a un trésor dans cette île, je le trouverai ! Vous ne boirez pas jusqu’à ce que je passe le mot. - Quand ? mille tonnerres. - Vous n’êtes contentes que quand vous êtes saoules ! mille tonnerres il nous faut la carte … Et la carte c’est le capitaine Grand Almotasim qui la détient en lieu sûr. Le papier a été cacheté en plusieurs endroits. C’est une carte d’île, avec la latitude et la longitude, sondages, noms de collines, de baies et d’anses, et tous les détails de navigation nécessaires pour hisser le grand foc à l’aide de la drisse quelle que soit la profondeur du fond et amener un old ship à un mouillage certain.

  10. Je ne redirai pas après tant d’autres tout le foyer de symboles et de rêves liés à l’île ― et encore moins au trésor ― mais quand même le mythe de l’utopie lointaine est une obsession bienvenue quand on parle de vieilles fleurs perdues dans un lieu nommé Paradis. C’est là, avec les éléments, la pluie ou le vent, la terre ou le sable, le soleil brûlant ou le soleil voilé, les embruns et toute la lenteur du temps, le lieu même de la poésie réalisée où Petite Philocalie cherche Grand Almotasim. Au moment où elle revient à elle, une autre Datura, une autre fleur pirate dont elle ne connaît pas le nom, exécute à sa façon un hommage à la Argentina. D’abord dans la quasi-immobilité d’une maigre nudité blanche, un mouvement ondoyant s’arrache du massif de fleurs et s’accomplit hors du temps et de l’espace, à l’écart de toute identité sexuelle définitive : elle est Kazuo Ohno. Et tout à coup il est la Argentina.

  11. Ce n’est plus dès lors la danseuse des Ballets espagnols née à Buenos Aires que Petite Philocalie contemple ni même sa métamorphose en Datura fanée, c’est le renversement de la beauté, l’affaissement progressif d’une fleur toujours déjà en ruine devenue belle parce qu’un artiste la regarde. La véritable cause de la mutinerie des Datura c’est la révolte contre le temps. Le trésor qu’elles recherchent, elles le possèdent déjà dans la durée de leur défloraison. Le trésor recherché par CP c’est l’œuvre du temps. Elle est cachée dans la défloraison. Le temps réel est plus réel que Datura, Pivoine ou Pavot. C’est la profonde détermination des fleurs mutines. Toute substance est dans le temps.

  12. Il y a eu des tas de marins morts et disparus sur la Argentina. Des centaines de manières de mourir qui épuisent les couleurs, les transparences, les matières, les diffractions, les valeurs, les lumières … L’artiste affronte avec une paradoxale jubilation ces agonies multiples. Impossible de prévoir la chute de tel pétale avant tel autre, d’imaginer à quel moment les étamines vont tomber, d’envisager le point d’attache du pédoncule en train de se détacher. La pivoine, par exemple, occupe beaucoup de terrain toute l’année. Ses racines ne sont pourtant pas vraiment inhibitrices. « Tout dépend des commentateurs, dit l’artiste jardinier, et des compétiteurs racinaires, rajoute l’artiste botaniste. De même la courte durée de la floraison de l’une et la longue durée de l’autre, rien n’est si net. Cette année nous avons vu l’inverse. L’idéal pour les belles floraisons c’est le temps frais, soleil voilé, sans vent, ni saute brusque de la température. Mais peu importe les remarques botaniques ou jardinières, poursuit Pierre Barès d’une seule voix, et puis c’est de la descente qu’il s’agit, non de la monté…Bien qu’on dise ça monte en graine. J’ai aussi un œil sur les graines. On verra si le regard voit »

  13. Petite Philocalie regarde la vieille fleur frissonnante d’une mort toujours annoncée. Le pavot n’a plus qu’un pétale qui tient on ne sait comment. Il n’a presque plus de couleur. La réalité du jardin ne coïncide pas avec les prévisions du jardinier. Anticiper une deuxième floraison circonstancielle c’est risquer l’empêcher. Une aile de papillon s’envole de la figure de proue ébouriffée. Petite Philocalie rêve que Grand Almotasim la regarde s’envoler. Quand elle le voit ainsi, elle sait tout de lui, ça lui permet de reste seule. Avec son “partenaire de solitude” elle trouve l’espacement juste. Loin des péripéties formelles le désir s’envole.

  14. La mutinerie des Datura a réussi d’une certaine manière. Une manière de mourir. Les fleurs de ce jardin abaissent le Jolly Roger. Dans le vent, dans le flux, elles passent et dépassent les jeunes pousses épanouies : elles ont retenu le regard de l’artiste. Les éclats passés, fanés, laminés, brisés des fleursgardées vivantes rendent encore le ciel, l’océan et le jardin jaloux. Elles sont aimées. Petite Philocalie ne rêve plus. Elle sait où se trouve la carte. Le trésor est ailleurs. Elle attend à peine distraite par le souvenir de ce que les fleurs ont été et charmée par ce qu’elles sont toujours : la beauté

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